de la cueillette à la philosophie
Se décider un beau matin à partir sur les chemins, en famille, à bicyclette... s'encombrer de divers récipients pour la cueillette des mûres... pédaler, pédaler, tranquillement, papoter à plusieurs de front... puis soudain s'arrêter en apercevant des ronciers avec leurs baies foncées et bien charnues... déposer les vélos sur le bas-côté et se mettre à cueillir... à deux, à trois... les enfants préférant tournoyer autour de nous...
Puis, reprendre la route si calme et ensoleillée... répéter le même scénario plusieurs fois... raccrocher le petit dernier au vélo de son Papa... puis, finalement, choisir une promenade plus courte car finalement la cueillette est longue et l'heure du déjeuner approche.
Rentrer à la maison et mettre au frais les mûres en attendant... puis le lendemain, se décider à préparer la gelée... chercher une recette sur le net pour se décider quand même à appeler sa Maman pour plus de précisions... et se lancer... s'enivrer du parfum dégagé par les mûres qui bouillonnent... être surprise par la facilité malgré la quantité de vaisselle à laver... attendre l'heure du goûter et déguster la gelée en quantité dans des crêpes... savourer... pour se dire que la cueillette n'a pas été suffisante et que les pots seront terminés avant l'hiver... songer à y retourner... cette fois seule...
Y retourner quelques jours plus tard... seule... se remémorer les cueillettes de myrtilles de sa jeunesse... dans les massifs vosgiens, thermos autour du cou, gravissant les rochers, sans même songer à une mauvaise rencontre, ni à une chute possible... pas de ramassage dévastateur au peigne, juste une cueillette brimbelle par brimbelle... rentrer au chalet et se sentir heureuse d'avoir tout rempli... les déguster dans des crêpes comme à la fête de la schlitt ou nappant une tarte...
Se dire qu'aujourd'hui, le plaisir de la cueillette reste intact... que c'est une activité proche du jardinage... se concentrer sur ses gestes mais aussi pouvoir réfléchir dans le calme... se poser des questions sur le sens de la vie... des jeunes de nos âges partis trop tôt ... quelles traces vont-ils laisser?... et moi?... se demander ce que je fais de concret au service des autres... est-ce suffisant?
Amorcer quelques réponses...
Puis revenir à la précision de mes gestes... apercevoir de grosses mûres éloignées... ne pas trop se pencher au risque de se déséquilibrer et de tomber dans le roncier, se faire piquer en permanence par les épines aux jambes, aux mains, enlever ces vilaines épines, saigner mais s'en moquer, ne même plus sentir ces désagréments... jeter un oeil à sa montre... se laisser encore un peu de temps... se fixer une limite géographique... l'atteindre... s'arrêter et déposer ses paniers... bien fatiguée physiquement mais requinquée intérieurement...